Plan Ecophyto : « L’effondrement de la biodiversité ne fait pas de pause »

Arthropologia fait partie des initiateurs d'une tribune publiée dans Libération le 8 février dernier, en réaction à la suspension du plan Ecophyto et à la mise sous tutelle de l'Office Français de la Biodiversité. Elle a été signée à ce jour par plus de 400 experts de la biodiversité et des insectes pollinisateurs.

Retrouvez la tribune sur le site de Libération (accès réservé aux abonnés) ou accédez au contenu dans son intégralité ci-dessous.

Alors que le vivant sur la planète ne s’est jamais aussi mal porté et que la Terre subit une crise écologique majeure qui impacte de plein fouet un modèle agricole à bout de souffle, le gouvernement a enfoncé un clou de plus au cercueil de la biodiversité et de la transition écologique notamment celle de l’agriculture.

En annonçant sans concertation préalable le 1er février dernier la « mise en pause » du plan Ecophyto et la mise sous tutelle de l’Office Français pour la Biodiversité (OFB), le gouvernement français a cédé à certains lobbys agricoles. Par la voix de son premier ministre, il a sacrifié la santé des Français et des agriculteurs et agricultrices en premier, le patrimoine naturel du pays et la possibilité d’évolution vers un modèle agricole soutenable.

Comme beaucoup d’acteurs agissant en faveur de l’environnement, nous soutenons les agriculteurs et une grande partie de leurs revendications, plus que légitimes pour protéger leur activité, si essentielle à notre société. Nous sommes à leurs côtés en particulier pour demander l’application stricte de la loi Egalim qui protège leur rémunération. Cependant, nous ne pouvons souscrire à d’autres demandes qui relèvent au mieux d’un manque de vision et de compréhension des limites du modèle agricole actuel, au pire d’un choix conscient de pousser un système à ses limites libérales.

La suspension du programme Ecophyto nous indigne particulièrement. Il s’agit d’un acte déraisonné, d’une solution de facilité, d’un aveu de faiblesse d’un gouvernement incapable de gérer la transition écologique indispensable à notre futur et aux besoins des agriculteurs. Cette interruption (sans annonce de durée) représente aussi un aveu flagrant de son mépris pour le patrimoine naturel du pays, en particulier pour les pollinisateurs que nous étudions. Elle est d’ailleurs incohérente avec le plan pollinisateurs co-porté par les ministères de l’agriculture et de l’environnement.

Nous, experts français de la biodiversité et des pollinisateurs, souhaitons une nouvelle fois alerter la population et le gouvernement sur l'effondrement catastrophique de la diversité et du nombre d’insectes, dont les pollinisateurs. Jusqu’à 78% des individus ont disparu en 10 ans seulement ! ! Les principales causes sont bien établies par de multiples études scientifiques. Sans surprise, les pollutions, notamment agricoles (pesticides et engrais de synthèse) y jouent un rôle majeur.

Or un monde sans insectes, c’est un monde dans lequel les principales fonctions écologiques de notre planète ne peuvent se maintenir : pollinisation de nos cultures et de la majorité des plantes sauvages, régulation des ravageurs, ressource alimentaire nécessaire pour un très grand nombre d’espèces, structuration des paysages fleuris, éducation à l’environnement, lieu de loisirs… etc.

Sans insectes, les prédateurs insectivores disparaissent : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, arthropodes… Sans insectes, l’agriculture perd ses principaux alliés : les auxiliaires des cultures qui contribuent à la régulation des ravageurs et à la fertilisation des sols. Exploitées de manière intensive, avec une vision court-termiste, les terres agricoles s’épuisent, conduisant à une utilisation toujours plus grande de fertilisants et de pesticides de synthèse. La conséquence agricole ? Une dépendance accrue des agriculteurs à ces produits et à leurs fabricants et des risques forts pour leur santé. Sans insectes, la majorité des plantes cultivées (cultures, vergers et maraîchage) ne sont plus pollinisées et ne produisent plus de fruits, légumes et graines. Près des ¾ des espèces de plantes consommées dans le monde (84 % en Europe) sont directement concernées par cette disparition. Baisse de la production, de la valeur nutritive, de la qualité nutritionnelle des fruits et légumes : certaines cultures fruitières comme le cassis, ou les pommes sont déjà impactées avec une forte baisse de rentabilité liée à la disparition de leurs pollinisateurs sauvages.

Malgré ses nombreux défauts, comme l’absence d’objectifs chiffrés, le plan Ecophyto avait pour ambition d’accompagner les agriculteurs vers une sortie des pesticides en favorisant les alternatives et l’innovation via la recherche. En l’interrompant, le gouvernement fait une grave erreur en favorisant inexorablement la poursuite d’une agriculture intensive chimique qui finira par détruire les dernières ressources indispensables à nos alliés naturels et par réduire les rendements agricoles. Cette incohérence s'ajoute à une longue liste comprenant notamment le sort fait aux haies : 6 000 km plantés l'an dernier, 20 000 km détruits... Elles jouent pourtant un rôle essentiel dans la régulation de l'eau, la protection du vivant, le transit, le refuge, le nourrissage et la sédentarisation des auxiliaires et pollinisateurs.

En pointant du doigt l’Office Français de la Biodiversité, mis sous tutelle, le gouvernement commet une autre faute majeure en opposant défenseurs de l’environnement et agriculteurs, alors même que l’agriculture de demain ne peut naître que d’une concertation entre ces acteurs.

Ainsi, nous, experts français de la biodiversité et des insectes pollinisateurs*, nous nous indignons vivement contre cette décision à contre sens de l’Histoire, des recommandations de l’IPBES et des publications scientifiques, de l’urgence écologique planétaire, des mesures à prendre pour le bien-être et la survie de notre espèce et de notre responsabilité envers toute la diversité biologique. Ignorer ce message serait une rupture du contrat social où les décideurs prennent en compte l’avis des scientifiques.

En conséquence, nous demandons un rétablissement du plan Ecophyto de toute urgence et le libre fonctionnement de l’OFB, pour continuer à accompagner les agriculteurs vers l’agriculture de demain, soutenable pour tous.

* Cette tribune est publiée et signée par les experts de la biodiversité et des pollinisateurs et de la pollinisation, dont les principaux membres du Conseil scientifique du Plan Pollinisateurs : enseignants, chercheurs des universités et des grands instituts français de recherche, des muséums d’Histoire naturelle, UMS PatriNat, des associations spécialisées et des experts reconnus, notamment réunis au sein du Réseau thématique Pollinéco.

Vous êtes un expert de la biodiversité et des pollinisateurs ? Vous pouvez signer la tribune ici.